On voit de plus en plus de mouvements anti-technologiques fleurir sur le net, affirmant leur volonté de ne pas se faire contrôler par peur du Big Brother qui surveille et contrôle tout. Mais nous sommes déjà pucés. Nous nous puçons nous-mêmes, volontairement, en transportant constamment notre téléphone, notre carte bancaire, notre carte Navigo et notre tablette Ipad. Quelqu’un, quelque part, sait où nous allons, combien de temps nous y restons, qui nous voyons, combien de temps, de quoi nous leur parlons. Il y a en effet une naïveté qui consiste à croire que les acteurs des nouvelles technologies sont animés d’idéaux moraux. Mais les nouvelles technologies, c’est le far west, et la palme reviendra aux compagnies capables de traiter le plus d’information afin de proposer le produit le plus adéquat à leurs “chers” clients. Les compagnies ne se gênent probablement pas pour activer à votre insu le micro de votre téléphone afin de tout analyser, c’est à dire votre timbre de voix, les émotions qu’il véhicule, la richesse de votre vocabulaire, la vitesse de votre débit de parole, avec qui vous parlez, les mots les plus récurrents. Idem pour la micro caméra. Elle enregistre probablement vos expressions faciales en fonction de l’endroit ou votre regard se pose sur l’article ou le livre que vous lisez, en déduit des émotions, des états d’esprit, des faiblesses, des forces, en gros les traits de votre personnalité. De même, la liste des bouquins en pdf sur adobe reader, combinée à une infinité d’autre informations, comme les codes barres des produits que vous réglez par carte bleue, peut permettre d’avoir un profil extrêmement détaillé, et Google vous connaît certainement mieux que votre propre mère. Même vos vices. En fait, surtout les vices et ce que vous refusez de vous avouer. Vous pouvez mentir aux autres, ou encore à vous-même, mais pas à Google, ni aux autres acteurs majeurs des nouvelles technologies.
Il y a en effet une sorte d'hypocrisie à rejeter, par simple bonne conscience, tout futur "orwellien" de l'hyper-surveillance, alors que nous avons la tête en plein dedans, et ce, depuis de nombreuses années. Mais un avantage d'Internet, des algorithmes et de la technologie en général, c'est qu'ils ne mentent jamais. Pour le meilleur et pour le pire. Considérant la tendance pathologique de l'être humain à se bercer d'illusion, les nouvelles technologies sont alors une bénédiction nous permettant de nous confronter à notre lâcheté quotidienne. Il ne sert à rien de craindre Big Brother ou la NSA, ils ne cherchent pas à nous asservir. Nos propres illusions nous asservissent très bien d'elles-mêmes. Et la première d'entre elles, c'est celle de la liberté. Nous nous croyons libres alors que nous passons notre temps à fuir les responsabilités, à choisir le chemin le plus facile, à attendre désespérément que quelqu'un décide à notre place en ce qui concerne les aspects les plus importants de notre vie. La vérité, c'est que nous ne supportons pas notre liberté et les prérogatives qu'elle implique. En toute logique, il devient normal de finir avec des puces sous le crâne, comme un chien avec une laisse : il n'y a rien de choquant là-dedans! Seul un surhomme peut-être véritablement libre, car c'est le seul à pouvoir regarder en face le tragique de sa situation et à vouloir l'améliorer. C'est celui qui n'a pas peur d'assumer sa liberté en reconnaissant d'abord qu'il est un esclave asservi à de multiples causes qu'il ne comprend même pas. C'est seulement à la condition de reconnaître cette vérité qu'un être humain peut-être véritablement libre. Seul celui qui se pose la question de la nature de sa liberté mérite d'en goûter les fruits.
La bonne nouvelle, malgré tout, c'est que nous avons toujours la possibilité de nous remettre en cause, nous et notre comportement quotidien. Est-il encore utile d'avoir des réflexes d'un autre âge? Choisirons nous (enfin) l'évolution spirituelle, maintenant que la technologie nous offre un accès inédit au savoir? Choisirons nous consciemment de vivre enfin fraternellement en optant pour une réelle compréhension authentique de l'autre, cet autre que chacun de nous aurait pu être? Quoi qu'il en soit, les technologies ne pourront jamais choisir à notre place, aussi évoluées soient-elles : la seule fonction de la technologie, c'est de révéler la nature profonde de celui qui les utilise.